Un dimanche à Saint-Dimanche

Agia Kiriaki, nous y avions déjà été. Une journée magique, si belle qu’il nous a fallu trois ans pour nous risquer à y retourner. Depuis, nous avions toujours gardé le souvenir moelleux des pommes de terres écrasées au persil, accompagnées d’anchois au vinaigre et servies en entrée, et le bleu profond de la mer au fond des yeux.

Ce matin, le vent soufflait, de gros nuages menaçaient, c’était la journée idéale: différente de celle de nos souvenirs au ciel imperturbable.

La route pour Agia Kiriaki – Saint-dimanche – est percée dans la roche, et suit chaque courbe de la colline qui surplombe la mer. Elle serpente ainsi, entre la douceur des îles qu’on aperçoit au loin et la dureté de la roche brisée, depuis Milina, village touristique un peu décadent, jusqu’à Trikeri, perdu au bout de la presqu’île du Pélion, solitaire sur son sommet loin de tout, hors du temps, ou jusqu’à Agia Kiriaki, si on bifurque à gauche vers la route qui y mène depuis trois ans seulement. Malgré la nouvelle route et le grand parking aménagé – pratiquement vide quand nous y arrivons – le temps semble s’être arrêté à Agia Kiriaki.

Le petit village de pêcheurs, tout au bord de l’eau, ne peut guère s’étendre vers la montagne contre laquelle il est adossé. Une seule rue le traverse, étroite, en pierres de taille, entre deux rangées de maisons. Entre chaque maison, la mer. Les volets sont peints de couleurs délavées, bleu, vert, rose, tout est propre, les tamaris se penchent vers les bancs installés sur les grandes terrasses qui s’élancent vers la mer. Partout, des pointus comme à Marseille, des fleurs aux balcons, de gros pots de basilic.

Je voulais essayer l’autre restaurant – il y en a deux, parallèles, qui se ressemblent. On arrive sur le premier par la route de Trikeri, et le deuxième est idéalement placé entre son voisin et la terrasse de deux vieilles dames, loin des quelques rares voitures. Mais après un tour vers le premier, nous décidons de rester fidèle à celui qui nous avait comblés il y a trois ans. Nous avons bien fait! Les pommes de terres sont toujours aussi douces, et les spaghettis aux langoustines – Karavidomakaronada, ouf! – un régal.

Depuis notre table, c’est le spectacle. Le restaurateur nettoie les poissons commandés sur une table en zinc, avec des gestes précis et rapides puis, dans une grande arabesque, il vide un seau d’eau sur le zinc qui emporte les restes dans la mer. L’eau qui lèche les murs de la terrasse pullule de poissons, qui se jettent sur les restes de leurs congénères et sur les bouts de pain lancés par les clients. En face, une vieille femme pêche avec un seul fil, et attrape un gros poulpe – incroyable, mais vrai: elle était déjà là, oui, elle, il y a trois ans! Et nous l’avions vue, médusés, attraper un poulpe en quelques gestes fatals au pauvre animal, là, depuis sa terrasse, devant sa maison aux volets roses comme les fleurs des tamaris au printemps. De l’autre côté,  sur la terrasse du premier restaurant, il y avait eu un baptême et les tables étaient nappées de blanc. Les enfants qui couraient, insouciants et concentrés sur leurs jeux, tout près de l’eau, sont toujours là, un peu mois bien habillés cette fois, pendant que leurs parents mangent tranquillement. Sur la mer, qui s’illumine ou s’assombrit au passage des nuages, défilent barques, voiliers et zodiacs.

Après le repas délicieux et le café, le patron, qui reconnaît Armand, nous offre le yoghourt crémeux aux raisins confits, même douceur qu’il y a trois ans, que nous dégustons dans le soleil revenu.

Nous quittons Agia Kyriaki sous un soleil d’été aveuglant, pour rejoindre la route de pierre à flanc de colline déjà empruntée sous un même soleil, dans le même vent, une répétition étrange et joyeuse. D’un côté, la garrigue jusqu’au ciel, de l’autre le versant qui se précipite vers la mer Egée. Au loin, la côte du continent, puis Eubée, et plus loin encore, Skopelos. La vue est sublime, immense, et le bleu profond de la mer s’imprime au fond des yeux.

Un commentaire

  1. merci pour cette belle histoire si bien racontée par vous deux et pour tes photos si belles et si bleues

    Je t’embrasse Anne

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