5 juillet 2015. Les cigales chantent, le soleil brille comme en été, enfin. L’air est calme. Trop calme ?
Depuis l’annonce du référendum, journées agitées : la mer gronde, les vagues se brisent avec fracas sur la plage, parfois sous la pluie chaude, ou dans le soleil qui se glisse entre des nuages qui arrivent du nord. Les soirées sont fraîches, les nuits presque froides. Le matin, les oiseaux chantent encore, remplacés en cours de journée par les cigales, dès que la température le permet. Timides encore, accompagnées des grillons.
Je lis l’histoire de Dina, saga sombre, violente et émouvante d’une femme du nord de la Norvège, dans une presqu’île isolée, battue par les vents et les rigueurs de l’hiver plongé dans la nuit perpétuelle.
Avant-hier nous avons été faire les courses à Argalasti. Tout le monde parle du référendum. La marchande d’olives, d’huile et de savons bios qui est toujours installée sur le bord de la route nous dit les yeux rieurs, pleins d’espoir, je voterai NON ! Yannis le ferronnier, dont les jeunes enfants vivent en Allemagne avec leur mère, vote OUI. Il a peur que la drachme revienne, qui ne vaudra plus rien. Il y a celles et ceux qui sont pour le NON, les yeux brillants. Vive la Grèce libre ! Stop à la pression des européens et des banques ! Ceux qui votent NON pour soutenir Tsipras, mais sans grand espoir. Ceux qui votent OUI, par peur : peur de sortir de la zone euro, et même de l’Europe, peur de retourner 50 ans en arrière : les journées sans fin à ramasser les olives ; télévisions, voitures, machines à laver et autres, des biens inaccessibles ; la pauvreté quotidienne avec les images, à la télévision du village, de la richesse européenne et américaine. Ceux qui ont peur des Turcs – ils sont juste là en face ! Tu ne te rends pas compte, Armand, tu es touriste ! On ne peut pas oublier 500 ans de domination ottomane ! Le OUI de ceux qui ne veulent pas payer d’impôts – Tsipras et sa clique sont des amateurs, des voleurs, ils veulent prendre notre argent, nous écraser d’impôts, voler nos économies ! Ceux qui votent NON, tranquilles : ce sera NON, malgré la propagande. L’espoir l’emportera !
Pour beaucoup, une grande responsabilité, subitement, alors que les votations, ici, sont rarissimes, les dernières ont eu lieu il y a …. 41 ans. La conscience que peut-être, ce simple oxi ou nai aura des conséquences pour leurs enfants, leurs vieux parents, eux-même, dans la vie de tous les jours. Une lourde responsabilité, et la difficulté, avec les menaces et les annonces qui se succèdent, à se faire une idée des conséquences du résultat – quel qu’il soit.
Hier à midi, nous avons mangé avec Vicky et Kostas, et trois de leurs voisins plus ou moins proches ici. Ils sont les trois farouchement en faveur du OUI, et j’en attrape mal au ventre : deux d’entre eux se vantent d’avoir mis leur argent en sécurité en dehors de la Grèce, se moquent de Syriza et de Varoufakis tout particulièrement, ce menteur, cet imbécile… dommage, les mézés sont délicieux, je vois Vicky qui hésite, Kostas se tait et heureusement, mon vocabulaire plus que modeste m’empêche de participer à la discussion. Ils sont trois à discuter entre eux, je mange et je regarde la mer.
Partout, toujours, la même chose : ceux qui essaient par tous les moyens de garder leurs privilèges, leur pouvoir, et la peur qui fait se ratatiner les gens, se replier sur eux-même. Après les sales combines du Conseil communal de Bevaix, je me retrouve ici dans la même ambiance, les mêmes réactions, et tout ça à l’échelle d’un pays entier !
Heureusement, il y a aussi les sourires de nos amis du bar Carlas, ceux de Théo et Petra qui louent des bungalows un peu plus bas et que je croise quand je descends à la plage. Celui de Kostas qui n’hésite plus. Et des initiatives joyeuses : un anglais qui lance un crowdfunding pour la Grèce et qui récolte près de 2 millions d’euros en une semaine, notre ami Tom qui offre 600 euros au Centre de Santé du village d’Argalasti, « pour payer ma part de la dette allemande d’après-guerre à la Grèce ».
Ce matin à 7h, les bureaux de vote ont ouvert, et ce soir à 7h, il fermeront. Comment allons-nous finir cette journée ? Dans la terne acceptation des décisions de la troïka ou dans une vague d’enthousiasme et de solidarité?