Comme chaque année, partir c’est à la fois une joie qui me prend au ventre, et un déchirement. Tristesse «d’abandonner » nos enfants, Sacha, mes amies, nos amis, nos protégés, Plume, l’air de Bevaix, le lac, la terrasse, les fleurs et notre jardin sur la table… Joie de reprendre la route, de revoir l’infini de la mer. Joie d’entendre parler italien, de se promener dans les ruelles animées d’une vieille ville italienne épargnée par la guerre, de boire un espresso, de retrouver le bateau, souvenir des traversées précédentes…. La première avec Armand, cachés tout en haut du bateau, sur un pont désert – c’était le 16 mai 1984 – sur un matelas pneumatique géant et tanguant. Les nuits passées dans le vent à recouvrir les enfants, impossible de dormir avec la lumière, les cheveux dans la figure avec le vent, l’humidité, parfois la pluie. Le matin où nos matelas ont été aspergés par le service de nettoyage du bateau… la fois où toutes et tous étaient malades, je distribuais des cachets, le bateau nous secouait… les queues pour le self-service, les jeux de carte. Le froid du restaurant, la chaleur du pont.
Nous sommes partis de Bevaix avec un soleil rayonnant, qui me faisait douter : pourquoi partir ? Alors qu’il fait si beau et chaud – trop chaud pour la saison, même. Nous sommes partis tranquillement, sans stress mais avec beaucoup d’émotion, vers midi, après avoir dit au revoir à tous nos amis, nos amies, nos enfants et notre petit-fils, ces deux derniers jours. Après avoir expliqué à Plume que nous reviendrons. Après avoir rangé la maison du haut en bas, jeté les choses inutiles. Nous aurions du le faire il y a longtemps !
Nous sommes partis, non pas « en vacances », pas non plus à l’aventure, mais vers notre deuxième maison : une pièce et une petite terrasse sur la mer Egée. Simplicité totale, presque rien : un lit, une modeste table en bois, un « canapé », simple matelas sur un sommier fixe en béton, deux chaises. Une cuisine en longueur avec deux plaques, un évier, un frigo. Et une salle de bain, avec sa fenêtre sur le figuier. Depuis le lit, j’ouvre les yeux et je vois les chats qui attendent leurs croquettes, la terrasse et un petit bout de mer scintillante. Depuis la terrasse, la vue sur la mer entre les branches des oliviers. Le jasmin, qui sera en fleurs à notre arrivée, grimpe sur un des piliers de la tonnelle à laquelle s’accroche une vigne et une vigne vierge. Entre les deux vignes, trois pots de fleurs ou de basilic. C’est tout et c’est parfait. Parfois, j’aimerais une vue plus dégagée, alors je grimpe sur la grande terrasse du haut, dont la vue sur la mer a aussi été réduite par la croissance vigoureuse des oliviers, ou mieux, je fais un petit tour sur la terrasse de Vicky et Kostas où les yeux peuvent, à perte de vue, voir la mer, de Kalkidiki à Skiathos, et y compris la mer au large de notre plage. Certains matins de bonasse, Vicky et moi guettons Kostas et Armand sur leur minuscule barque, en train de partir ou de rentrer de la pêche.
Tout à l’heure, nous avons quitté notre hôtel dans les collines au-dessus d’Ancône et sommes arrivés bien en avance au bateau. Nous avons embarqué deux heures avant le départ, et du coup, j’ai pu apprécier le navire tout propre, ses couleurs bleutées, le contraste entre la dureté du fer peint et la douceur de l’architecture du port, ses maisons ocres et ses clochers. Pas d’excitation, très peu d’enfants, beaucoup de vieux couples et des hommes seuls, routards fatigués. Il fait très beau, malgré la pluie annoncée pour cette nuit. Nous passerons une bonne nuit bien à l’abri dans notre cabine avec vue sur la mer, et demain, sur le soleil levant.
Comme toi nous sommes partagés lorsque vous partez pour si longtemps. Heureux de vous savoir heureux, un peu angoissés par la crainte qu’un jour arrivera où il se pourrait que nous ne nous revoyions plus. Car hélas le temps passe et l’avenir est de plus en plus derrière nous. Mais trêve de mélancolie, jouissez de cette Grèce que vous aimez tant et revenez nous en pleine forme, prêts à affronter les défis qui vous attendent. A toutes fins utiles ,rappelez vous que, sauf contretemps, nous partirons le 4 août pour un mois dans l’Ouest canadien et l’Alaska. Pas tout à fait la Grêce mais beau quand même, du moins l’espérons nous. Gros bisous à tous deux. Pap***